Note de lecture

Rédigée par Laurence Chemla

Aharon APPELFELD, Le temps des prodiges, Traduit de l’hébreu par A. Pierrot, Paris, Le Seuil, 2004, Collection Points.

Appelfeld brosse un tableau de l’antisémitisme à la fois diffus et omniprésent dans l’Autriche des années 1930 et dans celle des années 1960.
En effet, ce livre se divise en deux parties totalement différentes, tant par le style d’écriture que par les époques auxquelles le récit prend place.
La première partie du roman nous transporte dans l’Autriche des dernières années d’avant-guerre. Le narrateur était alors un petit garçon d’une famille juive assimilée habitant dans une petite ville d’Autriche, Knospen. Le père était écrivain –« écrivain autrichien » se revendiquait-il, admirateur de l’œuvre de Franz Kafka (« prophète de la Vérité ») et ami de Stefan Zweig: il écrivait dans des revues et publiait des romans. On voit comment, progressivement, la qualité de vie se dégrada pour les Juifs, comment les remarques et les anicroches antisémites se multiplièrent au fil du temps et ternirent le quotidien; et surtout, comment nombre de Juifs autrichiens, à l’instar du père du narrateur, rejetaient la cause de cet antisémitisme sur les immigrés juifs d’Europe de l’Est ainsi que sur « la petite bourgeoisie juive » commerçante, en général: certains Juifs autrichiens choisirent même de se convertir au Christianisme pour marquer leur dissidence. Le ressenti du petit garçon, intérieurement effrayé par cette marginalisation humiliante des Juifs, donne au récit une certaine pesanteur qui n’augure rien de bon. Cette partie se clôt sur le départ des habitants juifs dans un train de marchandises après avoir été rassemblés, par le rabbin, dans le temple israélite.
La deuxième partie du roman porte un titre tragiquement laconique – « Quand tout fut accompli des années plus tard »-, et se situe vers 1965. Appelfeld lui-même devient le narrateur de ce récit dont Bruno – le petit garçon devenu un homme d’une trentaine d’année- est le personnage central. Cet homme habite désormais en Israël et revient, pour la première fois depuis la guerre, dans sa petite ville autrichienne où finalement rien n’a vraiment changé, sauf que la majorité des habitants juifs ont disparu (« tout est resté tel quel, sans eux »), et que les très rares anciens, qui y vivent encore, renient leur judéité. Les mots sont pesés et leur pertinence donne à certaines phrases une portée qui va bien au-delà de cette petite commune autrichienne :

« Même les boutiques juives ont gardé leur aspect extérieur, par exemple le magasin de tissus des Laufer. Aucun d’eux n’a survécu, mais le magasin se dresse exactement dans le même angle qu’autrefois, soigneusement conservé, avec ses pots de géraniums également. Maintenant un autre homme est assis à l’intérieur en compagnie d’une autre femme. Etrange. Ils n’ont pas l’air d’assassins ».
Finalement, Bruno dénouera les incompréhensions de son enfance à travers des rencontres, tant inattendues qu’enrichissantes, qui amènent notamment le lecteur à s’interroger sur la notion d’identité juive.